02/11/2010

Le mythe des enfants-loups

Le mythe des enfants-loups

Mowgli, le héros du Livre de la jungle, du grand écrivain anglais Rudyard Kipling, a rendu populaire le thème des enfants sauvages.
Les enfants-loups existent-ils ? Cette énigme a préoccupé les hommes depuis les temps les plus lointains. Le débat est essentiel : quelle est la frontière entre l’état animal et l’état humain ?


L’historien grec Hérodote nous rapporte, dès le Ve siècle avant notre ère, qu’un pharaon, Psammétique, avait tenté une étrange expérience. Il s’agissait en réalité de connaître quelle était la « langue première » de l’humanité. On prit donc deux nouveau-nés à leurs parents et on les confia à un berger pour qu’il les élevât avec ses chèvres.
Le pharaon avait ordonné que personne ne leur dise un mot et qu’ils vivent dans une cabane isolée du monde extérieur. Au moment voulu, ils devaient être allaités par les chèvres et ils devaient recevoir tous les soins dont ils auraient besoin. Malheureusement, Hérodote ne nous dit rien sur les résultats de cette curieuse expérience.
Il est d’ailleurs plus que probable que les enfants soient restés complètement muets : l’enfant apprend sa langue en entendant parler ses parents.
Au Moyen Age, l’empereur allemand Frédéric II de Hohenstaufen chercha lui aussi à savoir quelle sorte de langage et quelle façon de parler adopteraient des enfants élevés sans jamais parler à qui que ce fût. « Aussi, nous dit dans sa chronique le moine franciscain Salimbene, demanda-t-il à des nourrices d’élever les enfants, de les baigner, de les laver, mais en aucune façon de babiller avec eux ou de leur parler, car il voudrait savoir s’ils parleraient l’hébreu, le plus ancien des langages (c’est tout au moins ce que l’on croyait à cette époque), ou le grec, ou le latin, ou l’arabe, ou peut-être encore le langage des parents dont ils étaient issus.
« Mais il œuvra pour rien, car tous les enfants moururent… En effet, ils ne pouvaient pas survivre sans les visages souriants, les caresses et les paroles pleines d’amour de leurs nourrices. »
Le XVIIIe siècle reprendra ce thème de l’enfant sauvage et, dans une pièce de théâtre, la Dispute, Marivaux mettra en scène un prince qui tente de renouveler l’expérience de Frédéric II : il décide que deux enfants mâles et deux enfants femelles seront élevés seuls à la campagne, gardés seulement par leurs parents nourriciers :deux personnes de race noire, le frère et la sœur :
« Il y a dix-huit ou dix-neuf ans – explique-t-il à sa confidente lorsque commence la pièce – que mon père, naturellement philosophe, résolut de savoir à quoi s’en tenir par une épreuve qui ne laissait rien à désirer. Quatre enfants au berceau, deux de votre sexe et deux du nôtre, furent portés dans la forêt, où il avait fait bâtir cette maison exprès pour eux, où chacun d’eux fut logé à part, et où, actuellement même, il occupe un terrain dont il n’est jamais sorti, de sorte qu’ils ne se sont jamais vus.
Ils ne connaissaient encore que Mesrou et sa sœur qui les ont élevés et on toujours pris soin d’eux, et qui furent choisis de la couleur dont ils sont afin que leurs élèves en fussent étonnés quand ils verraient d’autres hommes. On va donc pour la première fois leur laisser la liberté de sortir et de se connaître, on peut regarder le commerce qu’ils vont avoir ensemble comme le premier âge du monde. »
Tous ces auteurs ne faisaient d’ailleurs que reprendre le mythe des anciens peuples, où l’on voit Remus et Romulus téter la louve et le jeune Jupiter boire le lait de la chèvre Amalthée. A l’époque historique, c’est par dizaine que l’on dénombre les enfants élevés par des animaux, loups ou autres mammifères. Au point que les philosophes des Lumières s’intéressent fort à ces cas étranges, Buffon et Condillac parlent d’eux, et Jean-Jacques Rousseau écrit :
« Les enfants commencent à marcher à quatre pattes et ont besoin de notre exemple et de nos leçons pour apprendre à se tenir debout. L’enfant de Hesse avait été sauvé par des loups. Il avait tellement pris l’habitude de marcher comme les animaux qu’il fallut lui attacher des pièces de bois qui le forçaient à se tenir en équilibre sur ses deux pieds. »
« Il en était de même de l’enfant qu’on trouva dans les forêt de Lituanie et qui vivait parmi les ours. Il ne donnait, dit M. de Condillac, aucune marque de raison, marchait sur ses pieds et sur ses mains, n’avait aucun langage et formait des sons qui ne ressemblaient en rien à ceux d’un homme. Le petit sauvage d’Hanovre, qu’on mena il y a plusieurs années à la cour d’Angleterre, avait toutes les peines du monde à s’assujettir à marcher sur deux pieds : et l’on trouve deux autres sauvages dans les Pyrénées qui couraient par la montagne à la manière des quadrupèdes. »
L’enfant-loup de Wetteravie, trouvé en 1544 près d’Echzel, dans la forêt de Hardt, en Bavière, fut l’un des premiers dont l’histoire ait retenu le nom. Il avait environ 12 ans lorsqu’il fut capturé par des hommes. Cette même année, un autre enfant était découvert, en Hesse, parmi des loups. L’historien Philippe Camerarius rapport que ce garçon avait été enlevé à l’âge de 3 ans par ces animaux et qu’il marchait à quatre pattes. Les loups, dit-il, s’étaient pris de tant d’affection pour lui qu’ils le nourrirent des meilleurs morceaux de leur proie, et l’exercèrent à la course jusqu’à ce qu’il fût en état de les suivre au trot et de faire les plus grands sauts.
Ils prenaient grand soin de son bien-être, puisqu’ils avaient creusé une fosse pour l’abriter pendant la nuit et l’avaient garnie de feuilles. Ils se couchaient tous autour de lui pour le protéger du froid. Le naïf chroniqueur s’écrie : « Si c’est vrai, cela est digne d’admiration. » Faut-il s’étonner si, hébergé à la cour du Landgrave, Henri de Hesse, l’enfant-loup, avait dit qu’il préférait encore retourner avec les loups plutôt que de vivre parmi les hommes ?
Un beau jour de 1661, un enfant bien proportionné, à la peau très blanche, les cheveux blonds et les traits du visage agréables, fut trouvé par des chasseurs dans la forêt de Lituanie. Il vivait au milieu des ours, et se défendit avec les ongles et les dents contre ceux qui voulaient l’attraper. Il avait avec lui un compagnon de son âge, mais qui eut le temps de s’enfuir avant d’être capturé.
A la fin du siècle, et toujours en Lituanie, on prit un autre enfant parmi des ours : il avait une dizaine d’années, était couvert de poils et ne donnait, raconte-t-on, aucune marque de raison. Il n’articulait aucun langage humain. On parvint cependant à lui apprendre à se tenir debout, à se nourrir normalement et à prononcer quelques mots, mais, lorsqu’il fut en mesure de s’exprimer, il ne put se souvenir de son passé. L’enfant-mouton, trouvé dans une forêt d’Irlande, en 1672, mangeait de l’herbe et du foin qu’il choisissait à l’odorat. Il courait très vite et était fort agile. On le connaît bien, car il fut décrit par le célèbre professeur Nicolas Tulp, qui servit de modèle à Rembrandt lorsque celui-ci peignit sa Leçon d’anatomie, œuvre qui fait toujours al gloire du musée d’Amsterdam. D’après lui, il avait le front plat, l’arrière de la tête allongé, la langue épaisse et le ventre enfoncé, particularité due, d’après le professeur, à son habitude de marcher à quarte pattes. Enfin, il bêlait au lieu de parler.
Un cas semblable existait à la fin du XVIe siècle, à Bamberg, en Allemagne. Il s’agissait cette fois d’un enfant qui avait été élevé parmi les bœufs et qui se battait à coups de dents avec les plus grands chiens, qu’il parvenait ainsi à mettre en fuite.
Vient ensuite l’affaire tout aussi curieuse d’une « fille sauvage »…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire