02/11/2010

Saint François stigmatisé

Saint François stigmatisé
Un moine blessé des blessures du Christ


A la mi-septembre 1224, François d’Assise se retire pour méditer et jeûner sur la Verna, le mont Alverne, près d’Arezzo, en Toscane. Au retour, il porte sur son corps des blessures semblables à celles du Christ en croix, coup de lance au côté, marques de clous aux pieds et aux mains : ce que l’on appelle les stigmates.

François camoufle ces blessures, remet des souliers, abandonnée depuis qu’il a commencé à prêcher. En vain : le fondateur de l’ordre des Franciscains, déjà illustre, ne peut cacher longtemps ce qui lui est arrivé.


De nombreux miracles

Or, on n’a jamais vu cela. Jusqu’au XVIIIe siècle, on appelle stigmates des incisions pratiquées par des fidèles païens en l’honneur de leurs dieux ou des marques en forme de croix que les premiers chrétiens se faisaient sur les bras pour témoigner de leur foi. On parle encore des stigmates d’une maladie ou d’un vice. Mais les blessures imposées au corps de Saint François sont, nul n’en doute, d’origine surnaturelle…
Ce n’est qu’un des miracles dont est tissé la vie du saint, de la domestication, à Gubbio, d’un loup féroce par un simple signe de croix, ou des guérisons de malades, jusqu’au fait que son corps, après sa mort, serait devenu resplendissant et aurait en 1228 au pape Grégoire IX, pour lui montrer sa blessure côté, remplissant même une fiole de son sang. Mais les stigmates ont une particulière importance, à cause de leur nouveauté, des autres cas attestés jusqu’à nos jours, du nombre de ceux qui les ont vus et de la multitude de tableaux qu’ils ont inspirés.

L’apparition du séraphin

Malgré leurs divergences de détails, tous les récits des compagnons ou des premiers biographes s’accordent : François a vu venir à lui, alors qu’il était peut-être en état d’extase, un séraphin – ange aux ailes lumineuses et enflammées -, qui semblait crucifié. Selon Bonaventure, l’ange «avait les pieds et les mains étendus et attachés à une croix, et ses ailes étaient tellement disposées, que deux s’élevaient au-dessus de sa tête, deux s’étendaient pour voler, et les deux autres couvraient tout le corps ». Le saint, impressionné, médite une fois de plus sur la crucifixion et voit apparaître ses stigmates. Ceux-ci ne lui ont pas été infligés par l’ange, mais par son amour pour le Christ martyrisé. Seul frère Léon, compagnon du saint, bien longtemps après un premier récit très sobre et sans détails, dit à un franciscain anglais, Pierre de Tewkesbury, que le séraphin a « touché durement » François. Cette explication convient mieux aux fidèles, à la fois assoiffés de merveilleux et peu enclins à admettre que les stigmates ont pu apparaître spontanément. L’iconographie l’améliore encore : Giotto, Bruegel, Dürer puis les Carrache montrent François à genoux, face à l’ange crucifié, d’où partent des faisceaux lumineux, véritables flèches de feu. Ce sont eux, et non une force intérieure, qui impriment dans son corps les marques de la Passion du Christ. Paradoxalement, l’intervention physique de l’ange est une rationalisation : comme le note François de Sales au début du XVIIe siècle, « quant à faire les ouvertures en la chair, par dehors, l’amour, qui était dedans, ne le pouvait pas bonnement faire ».

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Quelques explications moins surnaturelles

Bien entendu, les commentaires ne manquent pas pour donner des stigmates une explication plus terre à terre. Au XVIe siècle, les protestants, indignés qu’on ait pu parler de François d’Assis comme d’un « second Christ », imaginent une dispute avec saint Dominique, le fondateur de l’ordre des Dominicains ; il se serait réfugié sous un lit, et l’autre l’aurait lardé de coup de broche, lui causant des plaies correspondant par hasard à celles du Christ…
Plutôt que cette pantomime volontairement grotesque, le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, publié entre 1863 et 1876 par Pierre Larousse, porte-parole du rationalisme républicain, préfère croire à « quelque jonglerie des prêtres, dont François lui-même a très bien pu être dupe, pendant un de ses sommeils cataleptiques », sans se demander comment les plaies auraient pu être entretenues ensuite. Les efforts du saint pour cacher ses stigmates et la longue crédulité de bien des prêtres semblent incompatibles avec une mystification.
Plus sérieusement, le même dictionnaire invoque « la surexcitation nerveuse de l’ascète et la tension extraordinaire de son esprit, toujours en contemplation devant les diverses phases de la vie du crucifié », qui « auraient suffi pour que ces stigmates, si ardemment désirés, apparussent ». On est bien loin de l’ange aux rayons lumineux ; mais on l’est beaucoup moins, peut-être, des récits du XIIIeme siècle…
Que François d’Assise ait désiré porter dans sa chair les blessures du Christ, c’est l’évidence. Et on peut exclure l’hypothèse d’une blessure ordinaire, ou d’une supercherie. A chacun, alors, selon ses convictions, de juger si les stigmates du saint ont une origine divine ou s’ils sont une manifestation psychosomatique, que le mot « simple » qualifierait d’ailleurs fort mal, tant elle constituerait elle-même un mystère.

La stigmatisation de saint François

"Dans une vision, le serviteur de Dieu aperçu au-dessus de lui un séraphin crucifié qui imprima les marques de sa crucifixion d'une manière si évidente sur François que le saint paraissait avoir été lui-même crucifié. Ses mains, ses pieds et son côté furent marqués du caractère de la croix ; mais il cacha ces stigmates à tous les yeux avec grand soin. Quelques-uns cependant virent de son vivant, mais, à sa mort, il y en eut beaucoup qui les considèrent."

Extrait de J. de Voragine, La Légende dorée.

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