02/11/2010

Feux de Saint-Elme et fantômes

Feux de Saint-Elme et fantômes

Pâles, silencieuses, d’étranges lueurs en forme de flammes apparaissent parfois, la nuit, dans d’anciens cimetières ou sur la mer. S’agit-il d’âmes fantômes ?


Le feu follet constituait une partie du domaine des fantômes en Europe jusqu’à l’avènement de l’éclairage au gaz. Certains disaient que c’était une âme perdue, menant traîtreusement les voyageurs vers une lande solitaire ou vers un marécage dangereux. D’autres prétendaient que c’était un esprit essentiellement bienfaisant et que, si vous aviez le courage de creuser à l’endroit indiqué par sa voltigeante lumière bleue, pendant la nuit de Walpurgis, vous découvririez des trésors enterrés.


Mauvais, bon ou indifférent, le feu follet n’était pas, comme certains fantômes, le produit d’une imagination surchauffée : quiconque osait s’aventurer dans certaines régions de campagne après le crépuscule pouvait observer, par lui-même, l’éclat mystérieux. Mais, avec l’arrivée de l’éclairage au gaz, même les gens de la campagne apprirent la vraie nature du feu follet : c’étaient simplement des gaz des marais qui brûlaient, semblables à la matière dont ils se servaient maintenant pour éclairer leurs maisons et leurs rues. Si sa beauté demeurait, son mystère s’était évanoui.
Au fur et à mesure que passent les années, la science, au grand désappointement des esprits romanesques, a expliqué la plupart des lumières mystérieuses : étoiles filantes, foudre en boule, réflexions ou réfractions lumineuses venues de l’atmosphère ou de la surface des eaux…

Les spooklights américains

Mais ces phénomènes mystérieux n’ont pas tous succombé aussi aisément devant l’explication. Il en est encore qui refusent de se laisser enfermer dans un modèle connu. Et bon nombre de ces derniers semblent particuliers aux Etats-Unis.
C’est pourquoi les chercheurs américains du domaine psychique les ont baptisés spooklights, ce qui signifie lueur à la fois fantomatique et nocturne. Une des ces histoires classique de spooklight américaine a ses racines solidement enfoncées dans la tradition surnaturelle. S’il en existe une explication complètement rationnelle, elle est encore à venir, bien que plusieurs théories intéressantes aient paru au cours des années.

La Palatine

L’histoire commence dans la réalité quotidienne avec le voyage de La Palatine, un vieux navire qui quitte la Hollande à l’automne de 1752, bourré de familles hollandaises partant à l’assaut d’une autre vie sur le Nouveau Monde.
La destination officielle du navire était Philadelphie, mais plusieurs facteurs se combinèrent pour en décider autrement et lui faire atteindre un autre port. Parmi ces facteurs déterminants, il y avait un capitaine toujours ivre, un équipage hargneux et la persistance du mauvais temps.
Comme le bateau approchait de la côte de la Nouvelle-Angleterre, une vive discussion éclata entre les officiers au sujet de sa position exacte. Et pendant la dispute qui s’ensuivit, le capitaine, de manière accidentelle ou poussé par ses officiers, tomba par-dessus bord. Lâchement, les hommes d’équipage décidèrent de sauver leurs têtes, et après avoir volé aux passagers tous ce qu’ils purent trouver comme argent, ils mirent à la mer les deux seuls canots de sauvetage et s’enfuirent, abandonnant les malheureux colons à leur sort.
Un matin, entre Noël et le jour de l’An, La Palatine, avec ses infortunés passagers, s’échoua sur la côte désolée de la petite île de Block, à quelques 18 km de Long Island, entre Montauk et Gay Head. La communauté locale de pêcheurs, habitués à augmenter leurs pauvres moyens d’existence du produit des épaves, ais les passagers à quitter le rafiot ; mais ensuite ils pillèrent le bateau, puis l’incendièrent, et enfin le repoussèrent vers la haute mer dans l’espoir qu’il y coulerait.
Tels sont les faits. Mais la tradition ajoute qu’une femme terrifiée s’était cachée au-dessous des ponts. Comme la carcasse en feu était emportée par la marée, les spectateurs, horrifiés, la virent debout, accrochée à la rambarde, et hurlant « Au secours ! » Mais il n’y avait plus rien à faire, il était trop tard !
Depuis cette époque, les gens vivant sur la côte de Rhode Island (qui fait face à l’île de Block) ont, de temps à autre, raconté qu’ils voyaient la silhouette flamboyante d’un navire pendant la semaine de Noël. Parfois celui-ci apparaît d’un blanc lumineux. En 1969, plusieurs personnes ont raconté au journal local, The Westerly Sun, qu’il y avait « une grande boule de feu rouge sur l’océan ».

Le Hollandais Volant

Nous devons l’un des meilleurs récits au propriétaire d’un bateau de pêche de Long Island, récit paru en 1882 dans la célèbre et sérieuse revue The Scientific American. Et ce témoin a même proposé une explication satisfaisante : « Il était en expédition de pêche quand l’un de ses seconds dit tout à coup : « J’espère que nous n’allons pas quitter la Pointe », en désignant Montauk. Je lui demandai pourquoi. Il paraissait parler de la pêche, mais à la fin finit par lâcher la vraie raison : il avait vu un voilier naviguant au plus profond de la nuit dans un silence de mort. »
On se moqua de lui avec mépris et le bateau jeta l’ancre dans la baie du Jardinier, à quelques milles à l’ouest de l’île de Block. Or, cette nuit-là, le patron fut brusquement réveillé par le second qui le secouait en lui montrant du doigt, avec inquiétude, la mer !
« Certainement, c’était une grosse goélette. Il n’y avait pas un souffle de vent dans la baie et, pourtant, elle avançait à la vitesse de dix nœuds, droit sur nous. Je bondis dans le gréement et je hurlai : « Oh ! De la goélette ! » et lui criai de se détourner, mais, dans la seconde même, les voiles blanches furent sur nous. Je lançai les mains en avant pour repousser et me préparait à sauter, quand, brusquement, le navire disparut et l’homme de barre surgit sur le pont en demandant si nous avions… la berlue. J’aurais juré, raconta le patron, que j’avais vu le hollandais volant. »
Et, une semaine après, il revit la « chose », contournant cette fois son bateau et rentrant dans la baie. Agissant suivant son impulsion, le patron ordonna à l’homme de barre de prendre en chasse le « fantôme », alors que son bateau était en train de déployer son filet…
« Aussi sûr que vous êtes vivant, nous avons fait le plus gros coup de filet de mémoire d’homme. Et je pense que la lueur était, en fait des voiles blanches, ni plus ni moins que la phosphorescence émanant de ce gros banc de poissons. C’est l’huile de tant de millions de poissons se déplaçant ensemble qui devait suffire pour produire cette lueur. Mais vous rencontrerez des hommes tout le long des côtes de Long Island qui croient à la venue de temps à autre d’une espèce de caboteur dans le style des fantômes. »

Le feu de Saint-Elme

Le professeur W.F. Ganong a fait une première enquête de quelque importance au tournant du siècle, et ses découvertes ont été publiées par le Bulletin de la Société nationale historique de la province du Nouveau-Brunswick. Après avoir interrogé de nombreux témoins et examiné tous leurs récits, il en tira quatre points positifs, qu’il appela « la base de fait du navire de feu (ou fantôme) ». Il est apparu comme évident pour l’auteur :
- qu’on voit fréquemment sur l’eau une lumière physique ;
- qu’elle apparaît en toutes saisons, ou, au moins, en hiver et en été ;
- Qu’elle précède habituellement une tempête ;
- Que sa forme est grossièrement hémisphérique, avec le côté plat sur l’eau, et que, certaines fois, elle brille simplement sans beaucoup changer d’aspect ; mais que, d’autres fois, elle s’élève en légères colonnes mouvantes, donnant naissance à une forme qu’on peut interpréter comme la voilure flamboyante d’un navire.
Le professeur Ganong inclinait vers l’opinion selon laquelle le « fantôme » était dû au « feu de Saint-Elme », mais il ajoutait prudemment que, « ne connaissant pas les autres rapports sur les phénomènes de cette sorte », il « ne pouvait se prononcer valablement ».

Les feux de la montagne Brune

Cependant, guère plus d’une décennie après, des fantômes lumineux et nocturnes très semblables firent l’objet d’une enquête gouvernementale.
Depuis 1850, les habitants de la zone de la pointe de Rattlesnacke, dans l’Etat de Caroline du Nord, avaient observé des lumières, parfois rouges, parfois blanc jaunâtre, apparaissant au-dessus du plateau de la montagne Brune, qui s’élève à 700 ou 800 m et qui est un affleurement quelque peu émoussé des Appalaches. Il naquit et grandit des histoires d’ « esprits » sur la montagne, tandis qu’un certain nombre de gens étaient allés vainement à la recherche de feux de broussailles.
Pendant une soixantaine d’années, l’on continua de voir les lueurs de la montagne Brune, tant et si bien qu’un jour un membre du Congrès de Caroline du Nord finit par en parler à Washington et qu’en 1913 un enquêteur du Service géologique des Etats-Unis fut envoyé sur place pour étudier le phénomène. Examinant la montagne, il trouva qu’elle était constituée de granit ordinaire (dit de Cranberry), largement répandu dans la région.
Il n’y avait pas de marécage sur les pentes de la montagne : il fallait donc éliminer la théorie des feux follets. Des témoins affirmèrent que les lumières apparaissaient d’ordinaire vers 7 heures du soir, duraient quelque trente secondes, et s’évanouissaient pour réapparaître, parfois, à quatre ou cinq reprises avant de disparaître « comme une fusée de feu d’artifice qui éclate ».
Le géologue rédigea par acquit de conscience un rapport où il attribuait toutes les lumières aux phares des locomotives. Le membre du Congrès qui avait entamé l’enquête se montra contrarié de cette conclusion et insista pour qu’on envoyât une seconde mission.
Le nouvel enquêteur poussa plus loin, mais, après avoir étudié les cartes et les détails géologiques de la zone de la montagne Brune, il prétendit que 47 % des phénomènes avaient pour origine les phares des locomotives, 33 % ceux des autos et les 20 ù restants les lumières fixes et les feux de broussailles. Il ajouta que le site au pied de ladite montagne était tour à tour couvert de poussière et de brume, un ensemble de conditions qui rendaient l’air très réfringent.
Cependant, un rapport ultérieur de 1925 signala plusieurs erreurs évidentes dans la théorie de la réfraction, la moindre n’étant pas que les lumières avaient été régulièrement observées et enregistrées pendant soixante-dix ans, soit plusieurs décennies avant la construction du chemin de fer dans la région et un demi-siècle avant l’apparition des automobiles ! De plus, une saison d’inondations en 1916 avait interrompu pendant quelque temps le trafic ferroviaire et routier, et, pourtant, les lumières « fantômes » étaient apparues.
Voici toutefois une indication peut-être significative : les lumières disparaissent soit pendant de longues périodes, soit pour quelque temps après une sécheresse prolongée. Il se peut donc que l’eau soit favorable à l’apparition de ces lumières fantômes : la rivière John traverse la montagne Brune.
Depuis 1925, personne n’a offert aucune autre explication, et les lumières brillent toujours. On peut être surpris que depuis l’entrée dans nos préoccupations des fameuses « soucoupes volantes » personne n’ait songé à attribuer ces lueurs fantomatiques justement à ces engins.

Le triangle du Spring

Dans la zone des « trois États », où se rencontrent le Kansas, le Missouri et l’Oklahoma, d’autres lueurs fantomatiques apparaissent avec tant de régularité qu’elles ont donné lieu à une industrie touristique ! Cette zone constitue un triangle dont les pointes sont marquées par les villes de Columbus, de Joplin et de Miami (pas celle de Floride), distantes les unes des autres de quelque 30 km.
Là aussi il y a une rivière qui traverse ce triangle : le Spring, et la proximité de la route nationale 66 semble accréditer la thèse – encore une fois – selon laquelle ces lueurs proviendraient des phares des automobiles, réfractées par le brouillard qui s’élève de la rivière.
Thèse qui peut sembler confortée par le fait que, vues à travers des binoculaires, quelques-unes de ces lueurs apparaissent en paires parallèles avec, en même temps, des éléments de chaque paire soit blancs, soit rouges, comme cela se passe avec l’éclairage avant et arrière des véhicules sur une autoroute.
A l’encontre de cette thèse, on a formulé la même objection que pour les phénomènes signalés à la montagne Brune : ces lueurs ont une histoire datant de bien avant l’automobile. Parfois même, elles donnèrent l’impression de poursuivre ceux qui les regardaient : c’est ainsi qu’un fermier, labourant la nuit au projecteur, abandonna son tracteur et prit la fuite, terrorisé, lorsqu’un globe rouge fonça sur lui. Précisions que les lueurs de la zone des « trois Etats » n’ont jamais fait qu’effrayer et fasciner, si bien que les hôtelier et les patrons de bars des trois villes du « triangle » ont annoncé les attractions de Spookville – comme ils appellent cette région – dans leurs brochures touristiques. On fait de l’argent facilement aux Etats-Unis…

La montagne Humide

Il existe un bon nombre d’autres sites à lueurs fantomatiques aux Etats-Unis. L’un de ceux qu’on a le plus étudiés et qui intriguent le plus pourrait bien être celui qui se situe sur une colline de la zone de la vallée de la montagne Humide dans l’Etat du Colorado, non seulement à cause des lueurs qui apparaissent presque toutes les nuits depuis tout un siècle, mais aussi à cause de leur localisation sur la scène des hantises traditionnelles : un cimetière abandonné.
Il s’agit d’un épisode de la « ruée vers l’argent », qui fit surgir en 1880 une ville-champignon de cinq mille habitants. Le site est presque désert aujourd’hui.
Quant au phénomène lumineux qui nous intéresse, il apparut peu après l’ouverture du cimetière : des ivrognes racontèrent avoir vu d’étranges lueurs bleues sur chaque tombe. Mais il y eut confirmation par des hommes qui n’étaient pas imbibés de whisky. Un premier article, paru dans le journal local, en parla longtemps après, en 1956. Mais c’est seulement en 1967 que le New York Times envoya un reporter sur place.
Enfin, un des rédacteurs de la très sérieuse revue The National Geographic, Edward J. Linehan, décrivit les lueurs qu’il avait vues en compagnie d’un habitant de la ville voisine de Westcliffe : des lueurs d’un blanc bleuté brûlant au-dessus de chaque tombe. Elles disparaissaient et réapparaissaient. Les deux hommes se livrèrent à une illusoire poursuite pendant un quart d’heure, de tombe en tombe – une vraie partie de cache-cache -, mais sans aucun résultat quant à l’origine du phénomène.
On leur dit – ici comme ailleurs – que ces lueurs étaient dues à la réflexion des lumières de Westcliffe. Mais ce ne peut être la bonne explication, car les feux follets se montrent au cimetière même quand il fait un brouillard à couper au couteau et que la ville est, par conséquent, absolument invisible.
D’autres explications se fondent sur la prétendue présence d’un minerai radioactif, ce qui fut contredit par un compteur Geiger. On a encore voulu faire intervenir une peinture fluorescente, dont des mystificateurs auraient barbouillé les tombes, mais il fallut bien reconnaître qu’il n’y en avait nulle trace.
L’argument des gaz émanant des corps en décomposition semble un peu dépassé ; en effet, le dernier enterrement remonte au tournant du siècle, à plus de soixante-quinze ans !
Enfin, pour ce qui est des « effets spéciaux » provoqués sur la fameuse colline par l’éclairage à vapeur de mercure de Westcliffe, il y a deux objections : d’abord, ce système n’a été installé que récemment ; ensuite, même lors de coupures de courant qui, parfois, ont plongé la ville dans le noir, les lueurs sont tous de même apparues sur les tombes.
« Des mineurs, morts au siècle dernier, continueraient-ils de chercher de l’argent sur la colline déserte ? » a demandé ensuite, en guise de conclusion et avec un humour tout américain, Edward J. Linehan…

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