02/11/2010

Les fantômes des armées

Les fantômes des armées

Les fantômes ne sont pas toujours les entités solitaires qui hantent les vieilles demeures historiques. Parfois, ils apparaissent en grand nombre et rejouent d’anciennes batailles. Une évocation troublante.



14 juin 1645, la bataille de Naseby

La bataille de Naseby, dans le Northamptonshire, en Angleterre, eut lieu le 14 juin 1645. Ce fut l’un des engagements les plus importants de la guerre civile anglaise et il se termina par la déroute des forces royalistes. Mais il semble qu’il ne se déroula pas qu’une seule, mais à plusieurs reprises, et qu’il se « rejoua » chaque année pendant environ un siècle. Les villageois du coin avaient pris l’habitude de se réunir sur une hauteur proche pour assister à la répétition de la bataille. Ils entendaient le canon et voyaient les hommes combattre et tomber, les bannières flotter et la cavalerie charger : ils entendaient même les cris et les plaintes des blessés. Et tout cela se passait dans le ciel au-dessus du champ de bataille !
De tels témoignages déconcertent, habitués que nous sommes à admettre – quand nous les admettons – les fantômes comme des apparitions d’un personnage unique. Et pourtant, comme on vient de le voir, il s’en produit où les fantômes se montrent en masse…

La fin du premier marquis de Montrose

Nous avons le témoignage d’une femme écrivain britannique, Joan Forman, qui a fait elle-même l’expérience de la terreur et de la souffrance d’un combat passé depuis longtemps, alors qu’elle voyageait il y a quelques années en Ecosse.
« J’étais, a-t-elle écrit, intéressée par la carrière de James Graham, premier marquis de Montrose. » Ce grand chef de cavalerie s’était montré en Ecosse comme un solide partisan du roi Charles 1er, au cours de la guerre civile.
En 1645, il avait réussi une suite de brillantes marches et contremarches à travers les montagnes et avait remporté des victoires extraordinaires. Mais, vers la fin de l’année, le sort changea. Essayant d’éviter avec sa petite armée une force ennemie beaucoup plus importante, conduite par le général David Leslie, Montrose se dirigea vers un petit plateau proche de Selkirk et s’y installa. Mais Leslie le suivait de très près et tomba sur ses sept cents Ecossais avec une force de six mille hommes.
La tradition locale veut que les royalistes aient été cloués dans la vallée du côté de Minchmoor. A l’autre extrémité de cette vallée se dresse un château connu sous le nom de Newark, perché sur un escarpement qui domine le champ de bataille. On dit aussi que, malgré la promesse de laisser la vie sauve à ceux qui se rendraient, Leslie autorisa le massacre de beaucoup de vaincus après la bataille.
« J’avais déjà des notions sur la bataille, poursuit Joan Forman, mais pas des détails exacts. Aussi je fus heureuse quand un savant historien de Selkirk m’offrit de me guider à travers le site. Nous trouvâmes les ruines du vieux donjon de Newark, isolé dans sa belle vallée sauvage, et nous pénétrâmes dans les ruines de sa cour. Mon guide commença à me décrire la bataille : comment Leslie avait pris la petite troupe de Montrose dans un mouvement en tenaille, et comment, en dépit des charges héroïques du chef royaliste et de sa cavalerie, il les avait finalement cloués sous la masse de Minchmoor.
A ce point du récit, je regardai par-dessus le bord de la cour de Nevark et, sans rien qui m’en avertît, je fus engloutie dans un sentiment de malheur et de désespoir fous. C’était une sensation de tumulte, de nombreuses personnes en train de lutter pour échapper et en train d’être repoussées, pas contre le côté éloigné de la vallée, mais juste au-dessous des murailles du château lui-même. Je demeurai ainsi debout immobile quelques minutes, mais la sensation de ce combat furieux et désespéré me devint intolérable. Je me remis à marcher et m’éloignai. »
Et la narratrice dit à son compagnon ce qu’elle croit : les hommes de Montrose ont été massacrés de ce côté-ci de la vallée et non de l’autre. « Mon guide secoua la tête. Oh non ! dit-il. Je suis sûr que vous vous trompez. Il est reconnu qu’ils sont morts sur le côté le plus éloigné. Je ne poursuivis pas la discussion. »
Mais, tout en s’éloignant, Joan continue de subir les mêmes sensations. Elle est plongée dans une vague de terreur et d’angoisse, qui vient maintenant de la cour même ; elle se sent écrasée sous ce sentiment de peur et de désespoir et, pendant quelques secondes, elle ne peut plus faire un pas. L’air lui semble rempli de cris, bien que ses oreilles ne perçoivent aucun bruit.
Et elle répète, plus convaincue que jamais : « C’est ici ! C’est dans cette cour même qu’on les a tués. Là où je suis en ce moment et au pied du mur, de l’autre côté. On a dû exécuter tout le monde ici, à cet endroit même. »
L’historien reste muet, bouleversé par cette assurance. Il finit par répondre qu’il ne croit toujours pas que le massacre ait eu lieu en cet endroit-ci. Joan n’en dit pas plus. Mais elle est heureuse de quitter le lieu. Le lendemain, l’historien lui téléphone et lui avoue que ce curieux épisode l’a tellement impressionné qu’il a repris son enquête dans les archives locales. « Il semble que vous pouvez avoir raison et que la tradition a tort. » Et Joan Forman de conclure : « Certains de mes ancêtres, appartenant au clan des Graham, ont pu avoir pris part à ce combat. Est-ce cela qui m’a aidée à devenir un « récepteur » particulièrement sensitif pour cette étrange et pénible expérience ? »

La bataille de Windsor

Un autre exemple de « participation » à une bataille de jadis se situe à Windsor, vers 1970. La maison appartenant à M. et Mme Wakefield-Smith était apparemment hantée par un homme au manteau sombre, et l’atmosphère de la demeure devenait désagréable. Le jardin, lui aussi, se révélait comme un endroit « intéressant ».
A son extrémité, les propriétaires ressentirent une fois une grande chaleur et du bruit, et ils eurent l’impression de se trouver au milieu d’une bataille : autour d’eux, ce n’était que fracas de ferraille entrechoquée, comme celui d’épées frappant sur des armures. Aussi soudainement qu’il avait commencé, le phénomène cessa, et le jardin retrouva la paix.
Bien que les bruits entendus paraissent évoquer la période de la guerre civile, la seule bataille figurant dans la tradition locale remonte beaucoup plus loin, puisqu’elle concerne les Romains et les Bretons… Ce qui est intéressant – et mystérieux – dans ce témoignage, c’est la grande chaleur associée à cette manifestation. Généralement, les hantises entraînent, au contraire, une baisse de température, et il en était en effet ainsi en ce qui concernait le fantôme de la maison. Alors, est-ce que cette résurgence de bataille est un phénomène de hantise, ou bien un phénomène tout différent ?

Apparitions dans la Wiltshire

Toutes les manifestations de cette ampleur inusitée ne se rapportent pas précisément à des batailles. C’est ainsi que Miss Edith Olivier, un écrivain du Wiltshire, fut impliquée dans un évènement de ce genre pendant la Première guerre mondiale. Elle se rendait en voiture vers le grand anneau de pierres levées d’Avebury, à une heure crépusculaire.
Quand elle parvint en vue du fameux cercle, elle vit un spectacle qui lui parut celui d’une foire installée autour et au milieu des gigantesques pierres : elle pouvait entendre la musique et voir les lumières des baraques. Mais quand elle eut atteint l’endroit, elle le trouva vide, et l’on entendait pour tout bruit que le vent qui soupirait entre les grands monolithes.
Plus tard, Miss Olivier se livra à une enquête qui lui révéla que, jadis, des foires s’étaient tenus là, mais que la dernière avait eu lieu il y avait au moins cinquante ans !
Cependant, un autre exemple d’apparition de groupe a été recueilli dans le Wiltshire, où l’on dit qu’un détachement de soldats romains marche le long de la vieille route au-delà du camp d’Oldbury. Un berger qui vit une fois la troupe en a donné cette description : « Des hommes avec des barbes, portant des jupes et de gros casques avec des poils au sommet. Et un oiseau sur une perche les précédait. » Bien qu’un peu rustique, c’est une bonne description d’une colonne romaine, avec, en tête, l’aigle qui lui servait d’enseigne.

Le récit du Major McDonagh

Des soldats, en petits groupes ou en armées complètes, en temps de guerre ou de paix, semblent nourrir le répertoire des phénomènes des fantômes de masse. L’un des cas les plus intéressants est celui dû au témoignage du Major A.D. McDonagh, un officier qui servait dans l’armée des Indes, à la frontière du Nord-Ouest.
Le major chevauchait le long d’une rangée de collines près du fleuve Indus. A un moment, il atteignit une hauteur d’où il pouvait embrasser du regard une large vallée en forme de fer à cheval, largement couverte de bois. Comme il regardait avec attention vers le bas, il se découvrit brusquement au milieu d’un groupe important de soldats, apparemment du temps de la Grèce antique et affairés aux devoirs usuels d’un campement militaire. Il vit trois autels et remarqua un groupe d’hommes plus loin, à l’entrée de la vallée, qui étaient rassemblés autour d’un objet.
McDonagh ne put pas voir ce qui attirait leur attention jusqu’à ce qu’il y parvînt. Alors seulement il distingua une dalle de pierre ornée d’une inscription nouvellement gravée. La langue était du grec, dont il n’avait pas la moindre connaissance. Cependant, il se trouve capable de lire et de comprendre ce qui était écrit là : l’inscription semblait se rapporter à la mort de l’un des généraux d’Alexandre le Grand. L’officier britannique décela aussi un sentiment de chagrin chez les hommes parmi lesquels il se trouvait.
Soudain l’expérience finit. Le Major McDonagh se retrouva sur le sommet, regardant en bas la vallée, sachant parfaitement ce qu’il venait d’éprouver. Plus tard, il retourna avec des ouvrier hindous pour explorer à fond la zone. Il trouva l’endroit complètement couvert d’une végétation de jungle, om les hommes durent se frayer au coupe-coupe leur chemin jusqu’à la tête de la vallée où notre homme avait vu le rocher avec ses inscriptions.
Quand enfin ils atteignirent et débroussaillèrent la végétation, ils découvrirent une stèle en partie décorée avec des traces de lettres grecques gravées au dessus, mais l’inscription était bien rongée et effacée. McDonagh n’eut pourtant aucun doute que c’était là le monument commémoratif qu’il avait vu jadis. La vallée se révéla être le site de l’un des camps d’Alexandre le Grand avant de passer à gué l’Indus, en 326 avant Jésus-Christ.
Ce récit est un exemple particulièrement intéressant d’une apparition de fantôme de foule. La distance dans le temps entre l’épisode originel et « sa répétition » moderne était de plus de deux millénaires, une période exceptionnelle sans ces sortes de cas.
De plus, le sujet de l’expérience a prit part aux évènements dont il fut témoin, se déplaçant de-ci, de-là pour avoir la meilleure vue des choses qu’il désirait observer et se découvrant capable de comprendre une langue normalement inconnue de lui, ce qui fait de ces évènements un double phénomène parapsychologique : apparition de fantômes et don des langues !
Dans un tel cas, une première explication se fait aussitôt jour : l’idée de la réincarnation. Certains chercheurs se sont demandé si le Major McDonagh avait été, dans une vie antérieure, un soldat de l’armée d’Alexandre le Grand, ou si, simplement, il avait « recueilli » les sensations de la troupe qui avait séjourné auprès de la stèle portant l’inscription au général mort.
De telles rencontres sont trop rares pour être considérées comme une preuve. Cependant, les apparitions fantomatiques « en masse » existent. Et il en existe au moins deux explications possibles. Selon la première, elles peuvent impliquer la reproduction des images et des sons de l’évènement originel. Selon la seconde, ces apparitions de masse peuvent être de vrais glissements du temps, où passé et présent, ou bien présent et futur, coexistent.
Quoi qu’il en soit, ce processus pourrait aussi être une création de l’esprit du témoin, sous l’impulsion d’une information enregistrée jadis par l’environnement physique.

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