02/11/2010

Ulysse et les sirènes

Un chant mortel venu de la mer
ULYSSE ET LES SIRENES
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Les sirènes sont des personnages mythologiques dont les chants aux sonorités envoûtantes entraînent les marins à leur perte. Leurs méthodes de séduction varient d’un récit à un autre, toutes exercent un attrait incomparable sur les navigateurs.

Le premier témoignage sur l’apparition des sirènes remonte à L’Odyssée d’Homère, qui raconte les aventures tumultueuses du héros grec Ulysse lors de son long voyage de retour, à Ithaque, après la guerre de Troie : les sirènes de l’époque sont non pas ces êtres mi-femmes, mi-poissons, que les légendes plus modernes ont retenus, mais des oiseaux à tête et poitrine de femmes.

Un chant mélodieux et irrésistible

Dans la mythologie grecque, les sirènes vivent dans une île de la Méditerranée. Leurs chants sont si beaux que les marins qui les entendent ne peuvent y resister et viennent jeter leurs navires sur les écueils. Les survivants sont impitoyablement tués. Lorsque Ulysse quitte la demeure de la magicienne Circé, il sait qu’il lui faut passer de l’enchanteresse, le rusé héros a alors recours à un stratagème pour lui permettre d’entendre, tout en sauvant navire et compagnons. Il bouche les oreilles de ses hommes avec de la cire après avoir demandé à être solidement attaché au mât. Il peut ainsi assouvir sa curiosité en écoutant le chant, sans toutefois y céder.
Ce chant se révèle mélodieux et poignant, et il est riche de belles promesses : les sirènes ne prétendent-elles pas que « toutes choses qui existeront un jour sur Terre, déjà nous les connaissons » ? Ulysse hurle à ses compagnons de le détacher, maix ceux-ci, bien sûr, restent sourds à ses cris. Enfin, le bateau passe, et les héros échappent au destin funeste de tant d’autres marins.
Ulysse n’est cependant pas le seul à affronter les sirènes. Le poète mythique Orphée, qui accompagne Jason parti à la recherche de la Toison d’or, parvient aussi à résister à leur charme fatal. Au moment où Jason et ses hommes, les Argonautes, attirés par les mélodieuses voix, changent de cap et s’avancent dangereusement vers les écueils de l’île, Orphée se saisit de sa lyre et fait entendre un chant si sublime qu’il couvre les mélopées des sirènes et sauve les marins en les arrachant à leur mortelle contemplation.

Qui sont les sirènes ?

Les sirènes de l’époque homérique sont trois soeurs, filles du dieu-fleuve Achéloos et de la muse de la poésie Calliope. Lydie joue de la flûte, Parthénopé de la lyre et Leucosie lit les textes et les chants. Anciennes compagnes de Perséphone, la fille de Zeus et de Déméter enlevée par Hadès, le dieu des Enfers, elles ont demandé aux dieux de les pourvoir d’ailes afin de sauver la jeune fille et de la ramener sur la Terre. Selon une autre version, elles doivent leur apparence à Déméter, qui a ainsi voulu les punir de n’avoir pas suffisamment veillé sur sa fille.
Leur nom vient du terme latin siren, lui-même issu du grec seirên, du mot seira, le lien, la corde, rappelant sans doute le pouvoir « captivant » des sirènes.

Femmes-oiseaux puis femmes-poissons

L’apparence physique des sirènes a évolué. A l’époque grecque, elles sont représentées comme des êtres ailés, au visage humain et au corps d’oiseau ainsi que le prouvent différents vases grecs antiques. Leur transformation en créatures mi-femmes, mi-poissons, à la partie postérieure recouverte d’écailles, remonte apparemment au Moyen Âge et aux légendes celtiques et germaniques. Mais, déjà, sous l’Empire romain, on les confond avec les Néréides, les cinquante filles de Nérée, dieu marin, et de Doris, elle-même descendante du Titan Océan. Les belles Néréides sont les nymphes de la mer et il n’est donc pas étonnant qu’elles aient été rapprochées des sirènes, autres figures marines... Quoi qu’il en soit, cette légende, née de la mythologie grecque et transmise au cours des siècles, demeure longtemps vivace et continue de hanter l’imaginaire des navigateurs du monde entier.

Lamantins et sirènes

Les scientifiques contemporains pensent que les lamantins sont peut-être à l’origine du mythe des sirènes et que les navigateurs les ont longtemps confondus avec celles-ci. C’est d’ailleurs en référence au mythe que l’on a donné le nom de Sirénien à l’ordre zoologique auquel appartiennent ces mammifères aquatiques.
Les dugongs et les lamantins sont les deux uniques représentants de cet ordre et ils ont été considérés jusqu’à une époque récente comme intermédiaire entre les cétacés et les phoques. Les lamantins sont des animaux de grande taille, pouvant atteindre jusqu’à 2 ou 3 mètres de long : on les appelle aussi du nom moins plaisant de « veau marin ». Ils ont un corps fusiforme et glabre surmonté par une tête massive et leurs cris harmonieux ont certainement contribué à la légende du chant des sirènes. D’autant que les femelles possèdent deux mamelles pectorales qui peuvent très bien passer pour les seins d’une femme.
Ils habitent les fleuves côtiers des Etats-Unis, entre Caroline du Nord et golfe du Mexique, mais on les trouve aussi au large de la côte ouest de l’Afrique, où les Anciens ont pu les apercevoir – une zone de diffusion plus large de leur espèce, dans le passé, n’étant d’ailleurs pas à exclure. Les dugongs se rencontrent, eux, plutôt dans l’océan Indien et au nord de l’Australie. Animaux doux et peu farouche, ils sont aujourd’hui menacés de disparition.


Les sirènes à travers les temps

Si les sirènes sont nées de l’imagination des poètes grecs antiques, la tradition qu’elles ont inspirée s’est transformée et développée au fil du temps, notamment sous l’influence du folklore nordique.
La mythologie nordique. Les légendes irlandaises et anglaises font toutes état de la présence de sirènes au large de leurs côtes tandis que la mythologie germanique les voit surgir de l’écume des vagues. La tradition bretonne relate qu’Ahez, fille du roi Grallon, pour avoir livré la ville d’Ys au diable et aux flots, aurait été plongée dans les eaux et serait devenue une sirène. Saxo Grammaticus, un chroniqueur des XII-XIIIe siècle, décrit de son côté le combat du roi danois Hadding, fils de Gram, contre un monstre aquatique, moitié homme et moitié poisson.
Où l’on pêche un homme-sirène. Les représentations de sirènes se multiplient au Moyen Âge et deviennent un thème favori des bordures ornementales et des enluminures de manuscrits. Dans les années 1200, le chroniqueur anglais Ralph de Coggeshall fait le récit suivant : au siècle précédent, sous le règne du roi Henri II, des pêcheurs d’Oford capturent dans la Manche un homme nu, nageant avec aisance sous l’eau. Enfermé durant plusieurs jours, celui-ci s’alimente principalement de poisson. Il ne prononce pas le moindre mot, même sous les pires tortures. Remis dans l’eau, il déchire le filet qui le retient et parvient à gagner le large, puis, quelque temps plus tard, il revient au rivage, vit deux mois durant parmi les gens d’Oford, avant de repartir définitivement dans son élément naturel.
Les sirènes de Christophe Colomb. Alors qu’il se trouve au large des Antilles, le navigateur génois croit apercevoir trois de ces créatures qui dansent dans l’eau. Elles sont laides et muettes, mais il découvre dans leur regard comme un « regret de la Grèce ».
Une rencontre moderne. En 1869, aux Bahamas, six hommes qui se dirigent en canot vers une baie aperçoivent une sirène, d’une somptueuse beauté, aux cheveux bleus flottant sur ses épaules et aux mains fourchues. Elle pousse de petits cris de surprise en voyant les marins et disparaît peu après sans s’être laissée approcher.
Les fabricants de sirènes. Le sens commercial de quelques peuples d’Asie a également contribué au développement de la légende. Des fortunes se sont même édifiées sur la vente aux Européens de curiosités : des monstres fabriqués à l’aide de morceaux d’animaux – singe et poisson. A Djibouti également, le squelette d’une authentique sirène est venu à des Américains. Il s’agit, bien sûr, d’un faux dû à des marchands ingénieux.

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